L’écriture inclusive est-elle réellement utile ? Une approche scientifique

Encore accueillie avec scepticisme, voire totalement décriée, l’écriture inclusive serait pour certain·es une hérésie totale. Il est l’heure de rétablir la vérité : a-t-elle vraiment une utilité ?

Une approche scientifique

On rassemble sous le terme « écriture inclusive » toutes les attentions graphiques et syntaxiques qui permettent d’assurer une égalité de représentations des deux sexes. C’est-à-dire une communication dénuée de stéréotypes de sexe, qui parle aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Dans la langue française, où le masculin fait aussi figure de générique, l’écriture inclusive rend ainsi le féminin visible. Encore accueillie avec scepticisme, voire totalement décriée, l’écriture inclusive serait pour certain·es une hérésie totale. Il est l’heure de rétablir la vérité : a-t-elle vraiment une utilité ? 

Pourquoi le masculin est-il considéré comme générique ?

Penchons-nous tout d’abord sur cette fameuse règle de grammaire que l’on a toutes et tous appris à l’école : le masculin l’emporte. Ce qu’elle signifie, c’est que dans un groupe nominal, l’adjectif prend toujours le genre masculin s’il est précédé ou suivi de noms communs féminins et masculins. Traduction : si un homme et dix femmes assistent à la réunion, on écrira « Un homme et dix femmes étaient présents ». En français, le générique est donc calqué sur le genre masculin. Mais… pourquoi, au fait ?

Remontons dans le temps. À l’origine, le français n’était pas aussi figé. On pratiquait ainsi couramment l’accord de proximité, c’est-à-dire que dans une énumération, on accordait l’adjectif avec le nom le plus proche – plus logique pour l’oreille, comme dans ces vers de Racine :

Surtout j’ai cru devoir aux larmes, aux prières,
Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.
Athalie (1691)
 

De même, si vous étiez une femme et qu’on vous demandait si vous étiez souffrante, vous pouviez répondre « Oui, je la suis ». C’était sans compter sur les grammairiens, qui entendaient bien mettre de l’ordre dans cette langue qui n’en faisait qu’à sa tête. En 1675, Dominique de Bouhours affirme ainsi : « Lorsque deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte ». Devinez quel genre est le plus noble ? Le genre masculin, évidemment. Pour quelle raison ? Un autre grammairien, Nicolas Beauzée apporte en 1767 cette réponse : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Le masculin générique est donc en réalité une question non pas de logique linguistique mais de… hiérarchie entre les sexes. 

La règle ne s’imposera véritablement qu’à la fin du 19ème siècle, lorsque l’école primaire sera rendue obligatoire. Elle ne sera plus questionnée, jusqu’à récemment. En 2012, la ligue de l’enseignement demande une réforme de l’accord de l’adjectif, qui induit des stéréotypes sexistes dès l’enfance et assure la prédominance inconsciente du masculin. Cependant, certain·es n’y voient pas mort d’homme – ou plutôt, de femme : notre langue est faite comme ça, ce n’est pas la grammaire qui est la cause du sexisme, il y a des combats plus utiles !

Le masculin n’est pas neutre : la preuve par la science

Résumons : en français, l’une des interprétations grammaticales de la forme masculine est donc une forme générique, qui peut faire référence à un groupe mixte (« Un homme et dix femmes sont présents ») ou à une forme neutre (ainsi « les étudiants » désignerait à la fois les étudiantes et les étudiants). Mais l’apparente neutralité de cette forme masculine, qui engloberait tout le monde et dans lequel tout le monde devrait se reconnaitre, n’a-t-elle vraiment aucune incidence sur nos représentations mentales ? Pas si sûr ! En effet, notre cerveau n’aime pas les ambiguïtés. Or, la forme masculine fait parfois référence au masculin, parfois à un groupe mixte. Le cerveau doit lever cette ambiguïté et choisir quel sens lui donner prioritairement. Et à chaque fois, il décide que la forme masculine… fait référence au masculin.  Pour lui, masculin = homme/garçon. 

C’est ce que démontrent, sans aucune controverse, tous les travaux de psycholinguistique[1]. Les chercheurs sont donc tous unanimes : le masculin n’est jamais neutre. Quand on parle d’« infirmiers », de « policiers », de « travailleurs »… nous nous figurons des hommes. Des études ont également démontré que, lorsqu’une offre d’emploi est genrée au masculin, les femmes se sentent moins légitimes pour y répondre. L’utilisation du masculin générique nous amène à voir le monde à travers un prisme masculin. Si notre langage modèle à ce point nos représentations, des changements dans la langue peuvent, de facto, changer ces représentations. C’est exactement le rôle de l’écriture inclusive ! Démasculiniser la langue pour que le cerveau pense, enfin, à inclure les femmes.

Démasculiniser la langue grâce à l’écriture inclusive, mode d’emploi

Dès lors, comment communiquer sans exclure ? Bonne nouvelle, il existe de nombreuses façons d’écrire de manière inclusive !

• Le point médian – ou point milieu 

Il consiste à regrouper au sein d’un même mot les formes au masculin et au féminin. 
Par exemple : un·e apprenti·e ; des apprenti·e·s ; les agriculteur·rice·s
NB : Chez Symbolones, nous avons décidé d’utiliser une forme plurielle simplifiée : les apprenti·es
Astuce pour faire un point médian : Alt+0183 ou Alt+250 sous Windows ou Alt+Maj+F sous Mac

• Les mots épicènes

Ce sont des mots non genrés, qui ont la même forme au masculin et au féminin. Par exemple, on dira « les fidèles » plutôt que les croyants.

• Les formules englobantes

Ce sont des termes qui renvoient à un collectif : « la direction » (plutôt que les dirigeants), « le corps estudiantin » (plutôt que les étudiants), etc.

• La double flexion

Elle consiste à utiliser les formes masculines et féminines : « Françaises, Français »  ; « Travailleurs, travailleuses », « Bonjours à toutes et à tous ».

• Les reformulations

Un terme au masculin vous embête ? Essayez de trouver une variante en reformulant votre phrase ! 
Exemple : « Certains croient encore que la Terre est ronde » devient « La croyance selon laquelle la terre est ronde n’est pas encore morte ».

• La féminisation des noms

L’Académie française, qui avait qualifié un an plus tôt la féminisation des mots de « péril mortel » (rien que ça), a reconnu en 2019 la validité des noms de métiers et de fonctions au féminin. D’ailleurs, saviez-vous que l’ère médiévale comptait des peinteresses, maitresses ès-art, astronomiennes, chevaleresses… avant qu’on les envoie aux oubliettes ?

Ainsi, parlons d’ « autrices » et non d’auteurs, d’ « entrepreuneuses » et non d’entrepreneurs, de « cheffe » et non de chef.

L’égalité passe aussi par le langage ! Parce que l’écriture inclusive ne se limite pas au point médian et parce qu’elle permet de s’adresser à toutes et tous sans discrimination, elle constitue un outil simple pour lutter contre les stéréotypes, démasculiniser nos représentations et créer un monde plus égalitaire. Alors, quand vous-y mettez-vous ?

[1] Cf. Pascal Gygax, Le Cerveau pense-t-il au masculin ? Cerveau, langage et représentations sexistes, Le Robert (2021)

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